"Les esprits extraordinaires tiennent grand compte des choses communes et familières, et les esprits communs n'aiment et ne cherchent que les choses extraordinaires." Rivarol

Là-haut. Entre ciel et terre, sur les toits, il y avait une ombre encapuchonnée, sautant avec agilité, se rattrapant avec aise sur les appuis de fenêtres, les imperfections ou toutes autres choses qu'il pouvait agripper. Cette silhouette était la mienne. Pouvant remarquer à quel point la neige rendait le lieu où je me trouvais glissant, je préférai ralentir un peu l'allure ; personne ne me poursuivait, pourquoi donc partir dans une course effrénée contre ma propre ombre? D'ailleurs, à l'instant où je me fis cette réflexion, mon pied droit me fit faux bon, emportant le reste de mon corps. Je ne trouvai rien de mieux que me rattraper à la cheminée fumante près de laquelle je me trouvai. Cela devait être plutôt drôle à voir, en y repensant. Sentant le bas de mon corps attirer vers le sol, mes bras tirant de toutes leur force pour ne pas succomber, je ne devais surement pas avoir l'air malin. Fronçant les sourcils, je réussis tout de même à me relever, non sans peine. Mon genou gauche manifesta son apparente opposition à toutes mes acrobaties dans un craquement sourd qui me fit quelque peu souffrir. Je jurai contre cette partie de mon corps avant de regarder autour de moi. C'était beau, de voir ce paysage couvert de ce manteau blanc. Mais à quelques choses près, j'en serais peut-être mort. Pour un homme comme moi, il aurait quelque peu idiot de se retrouver sans vie de cette façon... Mais enfin, je n'aurais rien su y changer, il fallait juste que je remercie mes réflexes.

Cette fois-ci plus prudent, je repris mon ascension plutôt étrange pour la plus part des personnes m'apercevant. Je gravissais les plus hauts toits, m'amusait à sentir le vent fouetter mon visage quand je devais effectuer un saut plus important, escaladait les mûrs, observant chaque recoin, étant attentif au moindre petit détail parfois insignifiant.
Alors que je m'étais appuyé contre un mûr pour scruter "les gens d'en bas", je me sentis bizarrement observé... Ce n'était pas normal, personne ne montait sur les toits à part moi. Je me retournai et croisai le regard d'une jeune fille... Etonnant, très étonnant.

- Voilà qui est étrange... Commençai-je en la regardant de haut en bas. Depuis quand les jeunes filles se baladent-elles sur les toits?

Je vous accorde que ce n'était pas normal non plus pour tout autre homme "normalement constitué" de se balader sur les toits, certes. Mais qui a dit que je rentrais dans la norme?

Plus les jours et les semaines passées, et plus Lynn s’interrogeait sur elle-même et sur ses choix, ses décisions. Avait-elle bien fait de quitter son Ecosse natale pour s’enfermer ici à Meryton, endroit où elle ne connaissait personne. Endroit quelque peu hostile par moment, et parfois accueillant. Ce soir là, Lynn se sentait nostalgique, mélancolique. Etre seule n’était pas évident. En arrivant à Meryton, les choses avaient été différentes, différentes de toutes celles connues dans les autres villages où elle avait fait une halte. Quelque chose lui disait que Meryton était la bonne ville, c’était celle là et pas une autre. Jenny était ici, mais où ? Un long soupir s’échappa des lèvres de la jeune fille. Couverte de la tête aux pieds, Lynn était recroquevillé sur le bord d’un toit, à côté d’une cheminée allumée pour profiter de sa chaleur.

Comment s’était elle retrouvée là haut ? Et pourquoi être sur un toit, alors qu’elle serait certainement cent fois mieux au salon de thé ou dans la librairie ? Voilà deux grandes questions, dont la réponse était fort simple. La nostalgie l’emportant, Lynn repensait à son Ecosse chérie. Elle imaginait ses parents entrain de préparer le bal de Noël, donné tous les ans au domaine familial, ce bal accompagné d’un banquet des plus somptueux où toute la ville était conviée. Cette neige qui recouvrait Meryton lui fit penser à Peter, son ami d’enfance, cet ami qui lui avait fait découvert de nombreuses choses, dont l’escalade des toits. C’était à lui qu’elle devait cette folie. Usant de on agilité et de sa souplesse, Lynn se mouvait parfaitement d’un toit à l’autre, aussi légère qu’une plume, la neige de la dérangeait pas. Elle était seule sur le toit du monde, regardant l’horizon, en direction du Nord. Un autre soupir s’arracha de la prison de ses lèvres. En bas, tout le monde semblait si petit, mais personne ne la remarquait, perchée telle une hirondelle. Elle se croyait seule, parfaitement seule, quand soudain, elle entendit un bruit. Un bruit sourd. Ce bruit lui semblait étrange aux premiers abords, elle était seule, qui d’autres auraient envie de monter ici au risque de se briser le cou ? Silencieuse et discrète, elle se cacha derrière la cheminée tout d’abord, en attente de voir qui approchait. Elle fut surprise d’y voir un homme, un homme qu’elle ne connaissait pas. Meryton n’était pourtant pas très grand, mais elle s’étonnait toujours de rencontrer quelqu’un qu’elle ne connaissait pas encore. Glissant doucement, mais sûrement, elle reprit sa place, comme si de rien n’était et observait cet homme qui semblait éprouver des difficultés à se mouvoir sur ses toits enneigés. Lynn eut un petit sourire, cette tâche lui était si facile. Ce n’est que quelques instants après qu’il remarqua sa présence, s’approchant toujours d’elle. Il avait l’air surpris de trouver une jeune femme assise sur un toit.

« Etrange ! » oui c’était bien le mot pour qualifier une telle situation, mais Lynn n’arrivait pas à voir en quoi cette situation pouvait paraître bizarre. Elle en avait tellement l’habitude de se réfugier dans les hauteurs, si bien que cela faisait de longs mois qu’elle ne l’avait plus fait du tout. Elle regarda intensément cet homme avant de lui répondre.

« Etrange, si vous le dites ! Mais que fait un homme de votre âge ici ? » lui demanda-t-elle

En aucun cas, elle n’avait répondu à sa question, elle avait tout bonnement posé la question inverse. Si la voir ici était étrange, pourquoi voir un homme, plus vieux qu’elle au premier coup d’œil, sur un toit ne le serait pas ?! Lynn haussa les épaules, elle en arrivait presque à avoir pitié de lui, il semblait tellement éprouver des difficultés à rester debout. Agile comme un lynx, Lynn se leva et s’approcha de lui.

« Un peu d’aide peut être, vous semblez avoir du mal.. »lui dit-elle sur un ton doux et chaleureux, avec le sourire aux lèvres.

C'était vrai, elle n'avait nullement tort, d'ailleurs elle avait même raison. Cependant, ses paroles eurent le don de me frustrer intérieurement ; étais-je si vieux que cela? Enfin bon, je savais que maintenant, à 37 ans, le temps me rattrapait à grands pas et bientôt, mon corps ne serait plus ce qu'il avait été. Il me semblait bien que cela partait d'une bonne attention mais je n'avais pas besoin d'aide, je m'en étais sorti tranquillement jusqu'ici et je ne vois pas en quoi il était nécessaire qu'une jeunette comme elle me propose son aide. J'avais tout simplement l'impression d'être un vieillard qui ne savait même plus traverser la route sans s'étaler sur le sol. Pitoyable, en vain.

Je la défigurai de mon regard froid. C'était quoi, ça? Qui, franchement, était assez fou que quelqu'un comme moi pour pouvoir se promener sur les toits? Je pouvais avoir l'excuse d'être couvreur et également d'être également assassin à mes heures. Avais-je devant moi une apprentie meurtrière? C'était absurde, franchement. Peut-être était-elle... spéciale?
Dans tout les cas, je lui répondis de mon éternel ton froid, les pupilles plongées dans les siennes

- Si j'avais tant de mal que cela, je ne serai plus ici, Mademoiselle.

Je soupirai en détournant le regard vers le côté. Pas qu'elle m'intimidait, juste que, même si je le savais déjà, elle m'avait rappelé que ma jeunesse m'avait abandonné depuis bien longtemps. Est-ce qu'il en serait bientôt fini, de Stephen Ward? Mes pensées devenaient de plus en plus absurdes ; en quoi, juste parce qu'elle venait de me proposer son aide, j'allais bientôt en finir avec moi-même? Peut-être fallait-il juste que je m'en rende compte? Non, non, non et non. Jusqu'ici je n'avais pas eu de mal dans toutes les tâches que j'avais dû effectuer. Pourquoi commencer maintenant?