Les cris d’une dispute, la complainte d’un petit vent frais, les aboiements de quelques chiens, deux hommes complètement ivres qui chantent une chanson paillarde et le bruit de leurs bouteilles se cognant l’une contre l’autre. L’obscurité de la nuit, les étroites ruelles quasiment désertes, les trottoirs sales et crasseux, plusieurs maisonnettes de fortune un peu plus loin, et cette odeur de brûlé qui persiste dans les narines. Pas de doute possible, Caiterina était bien dans les Docks de Bath. C’était la troisième fois de sa vie qu’elle venait ici.
Comme le premier jour de chaque mois, elle se rendait dans ce coin pauvre et mal famé de la ville pour y régler une affaire. Une affaire très embarrassante qui nécessitait une discrétion absolue. C’est pourquoi elle ne pouvait décemment pas s’en occuper chez elle, sinon elle aurait bien entendu tout fait pour éviter de se retrouver ici.

Mais quelle était donc cette mystérieuse affaire ? Et bien, vous n’êtes pas sans savoir que Caiterina avait une conception toute particulière de la fidélité dans le mariage. Papillonnant à droite et à gauche, elle s’occupait ainsi et s’entretenait physiquement. Mais bien sûr cela comportait des risques. Et ces risques faisaient justement partie des raisons qui poussaient Caiterina à agir ainsi. Vivre avec un peu d’adrénaline quoi! Ce n’était pas les réunions au salon de thé qui lui en apporteraient. Seulement, à force de jouer avec le feu, malgré toutes les précautions qu’elle prenait, il fallait bien qu’elle se brûle les ailes. Et c’était Erin qui s’était fait un plaisir de craquer l’allumette. Erin, qui avait découvert le petit secret de Caiterina. Elle en profitait pour la faire chanter : son silence avait été vendu contre la somme de 10 livres par mois. Certes, c’était une minuscule dépense pour une Lady mais cela représentait tout de même un beau revenu régulier pour une personne de la classe inférieure. Et surtout, Caiterina détestait cette épée de Damoclès au dessus de sa tête. Que quelqu’un puisse lui tenir tête ainsi l’agaçait prodigieusement, d’autant plus si c’était une traînée des bas quartiers. Alors que c’était elle qui fixait les règles d’ordinaire, avec tout le monde, même avec Charles pourtant censé être l’homme dirigeant de la famille. Il faut dire qu’elle le menait par le bout du nez celui-là xD Donc pour une fois qu’elle se retrouvait de l’autre côté de la ligne, elle avait beaucoup de mal. Mais elle gardait espoir : la chance allait peut-être bientôt tourner... du moins, elle faisait tout pour.

Caiterina avait demandé à son cocher de la laisser à quelques rues du point de rendez-vous et avait fait le reste du chemin à pied. Personne ne devait savoir ce qui l’amenait en ces lieux. Elle se posta à l’angle de deux rues, à côté d’une vieille pancarte rouillée qui indiquait « Lindenberg’s Tavern ». Puis elle attendit, pas très longtemps, car elle eut juste le temps de ruminer deux ou trois pensées furibondes qu’elle entendit un bruit sur sa gauche. Elle était là.

Le brouhaha continuel des Sheds de dérangeait pas du tout Erin, qui au contraire de Cait', les préféraient largement aux quartiers plus chics. Elle aimait les bruits et l'animation qui y régnait, à l'opposé total de cette bienséance trop rigide et de la politesse froide dont faisait preuve tout les gens "éduqués". Éduqué à cacher leur vrai nature, vous dirait Erin, qui en voit de belle tout les jours, à côtoyer ces hommes frustrées qui n'en peuvent plus de se maîtriser à longueur de temps. Et en bonne ame charitable, c'est elle qui les soulage monnayant quelques sous par ci par là (et parfois plus quand elle monte une jolie petite arnaque, mais ça, c'est une autre affaire xD).

Elle était en retard, comme toujours. Trop de travail. C'était bon pour les affaires, mais elle devait avouer que le rythme était dur à suivre parfois. Souvent. De plus en plus souvent. Pourtant elle ne manquait pas d'énergie, bien au contraire, une pile électrique! Elle se demandait si elle n'était pas... non! Impossible, elle faisait tout pour l'éviter, elle n'allait pas être enceinte encore une fois? Il allait falloir qu'elle règle ça, avant que ça se soit irrémédiable. Mais bref, ce n'était pas sa préoccupation du moment, elle avait un rendez-vous de la plus haute importance avec une Lady très respecté, mais peu respectable. En la voyant flirté avec un homme qui n'était pas son mari, Erin avait découvert un bien joli secret, qu'elle avait transformé en un chantage tout ce qu'il y a de plus malhonnête. Bien sur, elle se sentait très bien vis-à-vis de ça, et prenait un malin plaisir à donner des sueurs froides à la Lady qu'elle faisait chanter. A chacune de leur rencontre, elle en disait un peu plus sur ce qu'elle savait, et chaque fois elle en sortait un peu plus satisfaite, un peu plus assuré d'avoir un revenu fixe. Bref, c'était tout bénef pour Erin, qui se doutait bien qu'elle ne pourrait pas continuer ce petit jeu éternellement, mais qui en profitait tant qu'elle le pouvait.

Elles avaient rendez-vous à la "Lindenberg's Tavern", un des seules endroits pas trop miteux du quartier. Erin connaissait bien le propriétaire, Jack (+BAF+ Pardon; c'était trop facile xD), et elle pouvait régler son trafic ici sans craindre qu'on vienne les embêter. En y arrivant, Erin reconnu tout de suite la dénommée Lady Ferrars, avec sa robe trop propre et ses manières trop strictes, qui détonnait parfaitement avec l'endroit. Elle ne s'y sentait pas à l'aise, et c'était exactement l'effet recherché par Erin, qui elle s'y sentait comme un poisson dans l'eau.

Erin lui sourit. Elle restait toujours très courtoise, pas la peine de froisser la dame, mais en gardant quand même une part de brutalité, juste assez pour qu'elle puisse avoir peur, et qu'elle ne se rebiffe pas. Il manquerait plus qu'elle tente de lui faire faux bond, ou qu'elle tente de la faire chanter elle aussi. Non. Tant qu'elle la craignait, et qu'elle avait peur de se frotter à elle, et et sa folie destructrice, tout marcherait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

- Lady Ferrars... C'est un plaisir, comme d'habitude.

Comment ça, ce n'est pas réciproque? XD Ben... pourquoi? XD

Erin lui souriait. (Caiterina aurait pu lui coudre les lèvres ensemble pour ne plus voir ce sourire aux dents longues.) Elle se montrait toujours très agréable et polie en apparence, mais son regard et parfois même ses gestes disaient tout le contraire. Ses yeux semblaient contenir une bombe prête à exploser, ses lèvres se tordaient parfois un sourire tout ce qu’il y avait de plus inquiétant et le ton de sa voix était aussi variable que le vent : tantôt agressive, tantôt doucereux. Bref, il y avait quelque chose chez cette fille qui ne tournait pas bien rond, Caiterina en était persuadée. Mais ce n’était pas ça qui lui faisait le plus peur pour l’instant. Son secret devait être préservé coûte que coûte, en l’occurrence 10 livres tous les mois. Si jamais il venait à être découvert… Elle préférait ne même pas en imaginer les conséquences, mais il était certain qu’elle paierait bien plus cher que quelques sous. A l’intérieur d’elle, Erin devait jubiler. Et elle avait de quoi : se retrouver avec une bourse joliment remplie (relativement, étant donné son rang) chaque mois sans avoir à lever le petit doigt, on ne pouvait rêver mieux. Tout ça parce qu’elle s’était retrouvée au bon endroit au bon moment. Caiterina s’était traitée de tous les noms pour avoir été aussi négligente ce jour-là. En outre elle sentait bien qu’Erin ne portait pas particulièrement les aristocrates dans son cœur. Pour une fois qu’elle avait le dessus sur l’un d’entre eux, elle voulait en profiter. Elle prenait sûrement un malin plaisir à être ainsi en position de force. « Lady Ferrars... C'est un plaisir, comme d'habitude. » Et en plus, elle se foutait de sa gueule.

Caiterina serra les dents en scrutant le visage de son maître-chanteur, puis elle jeta un coup d’œil nerveux autour d’elle. Il ne manquerait plus que quelqu’un la surprenne. Au moins toute cette histoire lui avait appris à être encore plus méfiante que d’ordinaire, même si c’était un peu tard. Elle essaya d’abréger le rendez-vous, histoire d’en finir le plus vite possible. Il était inutile qu’elles restent là à papoter bien gentiment de la pluie et du beau temps. Elle tendit à Erin la petite bourse dodue qu’elle tenait dans la main et ponctua le geste d’une conclusion sèche :

- 10 livres. Même lieu, même heure, dans un mois.

N’attendant aucune réponse de la part d’Erin, elle fit un pas en direction de sa voiture, pressée de s’échapper de cet endroit sordide.

Depuis son incident avec cette saleté de chat, Eriin s'était retrouvé défiguré, et dans l'incapacité de travailler, avant que ces vilaines marques s'estompent ne serait-ce qu'un peu. Elle avait une clientèle plutôt bourgeoise, et parfois plus: des hommes qui payaient bien, mais qui était exigeant en contrepartie. Ils n'avaient aucune envie de se payer une fille défigurée, alors en attendant, Erin devait prendre son mal en patience, et trouver d'autres moyens pour remplir sa bourse. Quelle chanceuse, de connaitre une Lady aussi charitable que Caiterina, qui lui faisait un don aussi généreux tout les mois, et de bon coeur en plus! Et elle ne le savait pas encore, mais elle était sur le point de faire un don encore plus généreux. (mais quel ame charitable, cette Cait' alors!)

Elle n'était pas enchantée de la voir, à en juger par son ton et ses manières. Erin fit la moue, déçue (ou pas). Elle prit la bourse que lui tendait Cait sans se faire prier. Elle l'ouvrit pour vérifier que le compte y était. 10 belles pièces dorées s'y trouvaient. Mais Erin était gourmande, et l'arrêt de ses activités professionnelles lui posaient quelques problèmes majeures. Ce n'était un secret pour personne, Erin aimait l'argent, surtout celui gagné facilement. Ses dents étaient si longues qu'elles en rayaient le parquet, pour son plus grand plaisir bien sur.

Alors que Caiterina s'éloignait, sans plus de blabla, Erin s'adossa au mur, et l'interpella, un sourire aux lèvres.

- Je vous trouve bien pressée, n'êtes vous pas heureuse de me voir? J'attends votre visite avec impatience chaque mois vous savez... Ceci dit le compte n'y est pas. Le prix vient d'augmener, c'est 15 livres. Sauf si bien sur, cela ne dérange pas votre mari Charles de savoir quelle genre d'activité occupe vos après-midi. C'est un homme charmant d'ailleurs. J'ai rarement vu quelqu'un d'aussi naïf... mais vous devez le savoir mieux que moi.

Encore une fois, elle lui adressa un sourire plus que courtois, et si ce n'était pas la folie permanente qui se lisait très clairement dans ses yeux, on pourrait croire que c'est une jeune femme tout à fait charmante. Mais bien sur, il s'agit d'Erin, et avec Erin, on ne sait jamais ce dont elle est capable de vous faire une fois le dos tourné.