Ses yeux se fermaient, ses paupières étaient lourdes. Sa tête lui paraissait une tonne et tanguait en avant, puis en arrière, comme si elle était prête à tomber. La nuit était noire et un brouillard épais empêchait quiconque de voir à plus de deux mètres devant lui. Il était fatigué. Il avait une fois de plus enchaîné les "journées" de travail. Son ventre était vide, et son corps courbaturé. Son front le lançait. Est-ce qu'on pourrait juste... Est-ce qu'on pourrait arrêter... ARRÊTEZ TOUT CE BRUIT ! Mais Liam rouvrit les yeux : les rues étaient désertes et calmes, plongées dans la pénombre. Il avait besoin de sommeil. Liam s'appuya un moment contre les pierres humides et irrégulières du mur d'une maisonnette bordant la rue dans laquelle il marchait. Il perdait l'équilibre.
Le pire, c'était de savoir par avance à quoi la nuit -qui serait très courte- ressemblerait. Ce qu'il y verrait. Car c'était toujours pareil. Jamais il ne trouvait le repos. Parfois dormir lui paraissait plus éreintant encore que d'enchaîner des dizaines d'heures d'un dur travail. Il ne connaissait pas les nuits sans rêves. Il ne connaissait plus les rêves sans elle. Et là, tout de suite, il aurait voulu s'arracher la tête. Ne plus penser. Juste entendre le souffle du vent... Calme et profond. Ne plus entendre son rire, ne plus entendre sa voix, et surtout, surtout s'arracher les yeux, pour ne plus la voir. S'arracher le coeur pour ne plus... Ne plus l'aimer. Et crever. Surtout crever.
Le dos appuyé contre le mur de la maison, ses mains musclées par le travail enserrèrent son visage. Puis dans un long soupir, il laissa retomber ses bras et son corps parut se détendre. Il regarda les étoiles et leur sourit. Elles lui renvoyaient les étincelles de son regard qu'il aimait tant. Elle était partout et nulle part à la fois. Liam reprit sa route.
Il tourna à l'angle de Pettisburg Street et s'engagea dans une ruelle plus étroite, connue parce qu'elle traversait les Docks par la diagonale et qu'elle vous faisait passer sur cinq petits ponts. Là où vivait Liam se trouvait après le quatrième, sur la droite. Mais cette nuit-là, il ne passa pas même le second.
Car, une fois le premier pont passé, Liam distingua dans les volutes blanches de la brume deux silhouettes. Elles ne marchaient pas, se tenaient droites devant lui, barrant le passage. A gauche comme à droite, les façades de maisons modestes. Liam s'immobilisa. Les deux hommes devant lui le fixaient. L'un d'eux tenait un rondin de bois à la main, et jouait avec d'une façon qui ne laissait rien présager de bon. Liam tourna la tête pour jeter un oeil dans son dos : un autre homme se tenait à présent dans le passage. L'avait-il suivit depuis le départ, ou venait-il d'arriver ? Liam ne savait pas. La fatigue avait engourdi ses sens. Il regarda à nouveaux les deux hommes. Ils s'étaient rapprochés.
- Je n'ai pas d'argent... Mais le mot mourut à la frontière de ses lèvres, étouffé par la douleur du coup que Liam venait de recevoir en plein ventre. Il toussa sous le choc, reculant un peu.
Et il n'eut pas le temps de réfléchir ou de riposter avant qu'un des trois ne passe ses bras autour de son cou, se tenant derrière lui, pour l'immobiliser tout en l'étouffant. Liam porta par réflexe ses mains à celles de l'inconnu autour de son cou pour tenter de respirer. Mais les deux autres le ruaient de coups. Le choc du rondin de bois dans ses côtes, Liam ne l'oubliera jamais. Il aurait pu hurler, si seulement celui qui le maintenait en place n'avait pas pris soin de lui barrer la bouche d'une main. Ses yeux pleuraient de douleur. Seuls l'impact des coups et les gloussements des trois types résonnaient dans l'obscurité.
Un instant, les coups cessèrent, et on lâcha Liam, qui faillit tomber à terre... Mais l'un des agresseurs empoigna ses cheveux pour le retenir dans sa chute. Son visage en sang à quelques centimètres de celui de l'inconnu, Liam y vit la cruauté de ses yeux.
- C'est douloureux, hein ? Fit l'inconnu, provocateur. Ce n'est rien en comparaison de ce qu'on te fera, ainsi qu'à tes petits amis, si jamais tu t'approches encore d'elle.
Liam ne comprenait pas. Ses oreilles bourdonnaient, son ventre hurlait et se tordait, et il parvenait à peine à ouvrir son oeil droit, à cause du sang qui culait dessus depuis son arcade, méchamment entaillée. Il avait mal, putain. Physiquement mal. Il souffrait le martyr. Il avait pris des raclées dans sa vie, en compagnie de son frère, mais pas d'aussi sérieuses. Le sang coulait le long de son visage, jusqu'à sa bouche. Ses lèvres trempées de rouge tremblaient. Oui, c'était douloureux. Mais que lui reprochaient-ils ? De qui parlaient-ils ? Et qui étaient ces foutus types ?
A la place de toute réponse, Liam reçut un nouveau coup dans le ventre, et cette fois il put crier. - T'as compris, merdeux ?! On te revoit avec Iris et tu crèves. Toi, ta famille et ta rouquine, et on vous filera à bouffer à ton clebs !
Iris ? Cela avait donc à voir avec elle ? Mais pourquoi des types comme eux auraient un rapport avec une fille comme son amie ? Les idées de Liam s'embrouillaient... Il tanguait lamentablement.
Il aurait pu crever de douleur, là, tout de suite. Alors oui, oui, c'était douloureux. Physiquement. C'était à en chialer, à en supplier d'arrêter. Mais Liam ne le fit pas. Il était tellement fatigué... Tellement cassé... Par sa douleur.
Il se sentit partir sur le côté : l'homme l'envoyait valser dans le décor. Son corps échoua lourdement sur une caisse en bois. Le choc le fit tousser une nouvelle fois. Il entendit, dans son dos, les pas de l'homme approcher de lui. N'avait-il donc pas terminé ? Liam ouvrit les yeux.
Et tomba nez à nez avec un petit garçon. Brun aux yeux bleus, ressemblant étrangement à celui qu'il était autrefois. Le garçon se cachait de l'autre côté de la caisse contre laquelle il était. Il serrait ses petits poings de rage, bien qu'on puisse voir qu'il avait peur. Il regardait Liam, et Liam se regardait. Les lèvres du garçonnet bougèrent en silence.
Ne nous laisse pas tomber.
L'inconnu rattrapa Liam par le col pour le relever, et s'apprêta à frapper à nouveau, mais il s'arrêta dans son geste, aveuglé par le sang que Liam venait de lui cracher à la figure. Liam attrapa la caisse de bois vide et lui explosa dessus.
Il se débattit du mieux qu'il le put, lorsque les deux autres vinrent au secours de leur ami. Il rendit les coups qu'on lui donna dans la mesure du possible. Si bien qu'un moment, les trois agresseurs finirent par oublier qu'on leur avait donné des consignes... Comme... ne pas l'achever tout de suite.
Ce ne fut pas qu'un simple règlement de comptes. Ils se battirent avec acharnement. Trois contre un, c'était perdu d'avance. Liam finit par s'écrouler, le visage contre les pavés froids de la ruelle, qu'il macula bientôt de son sang. Ce fut un corps mort que les trois malfaiteurs laissèrent derrière eux. Seuls quelques fragments d'âme persistaient encore à scintiller dans cette enveloppe charnelle endolorie. Et ils s'endormirent dans la quiétude.
Reputation Famille: O'Loughlins Age du personnage: 24 ans Relations :
Sujet: Re: Pain # Liam Lun 14 Mar - 4:18
Elle ne sera remplie que de la sensation atroce d'une horrible brûlure irradiant tout son corps. Plus que jamais, Liam avait conscience de chaque parcelle de sa peau, sur laquelle de nombreux hématomes se formaient déjà. Il ne respirait presque plus. Chaque inspiration lui donnait l'impression que ses poumons s'écrasaient sur eux-mêmes dans un terrible sifflement.
Mais il retirait tout ce qu'il avait pensé ! Il ne voulait pas qu'on lui arrache la tête, ni les yeux, ni le coeur ! Surtout pas le coeur ! Il voulait... Il voulait l'aimer, encore pour longtemps, quitte à ce que ce soit douloureux. Il s'en moquait, pourvu qu'il puisse survivre à cette nuit. Pour pouvoir la revoir... Ne plus la rêver, mais l'avoir, bien réelle, face à lui.
Liam grimaça de douleur, puis ce furent les ténèbres.
- Vous croyez qu'il est mort ?
Une main. Sur son cou. Deux doigts qui se rapprochent de la veine qui court dans sa nuque. Son coeur bat-il encore ? La vie l'a-t-elle abandonné ? La jeune femme blonde retient son souffle. Allez, il ne peut pas être mort ! Elle l'a reconnu... Et il ne peut pas être mort !
Boum boum. C'est léger, mais elle l'a bien senti ! Son pouls. Candice respire à nouveau. Liam est vivant... Elle n'aura pas à regarder Iris dans les yeux pour lui annoncer sa mort. Et Candice elle-même appréciait Liam, le connaissant par le biais d'Iris, qui le traînait parfois jusque dans son auberge.
- Liam, tu m'entends ? Fait Candice en lui tenant la main, dans l'espoir qu'il réagisse. Elle tourne doucement son visage, et retient une grimace en voyant l'état dans lequel il est. Couvert de sang d'une part, salement blessé de l'autre : l'arcade droite entaillée, l'oeil gauche heureusement pas vraiment gonflé mais bien bleu, la lèvres inférieure éclatée. Qui a pu faire ça... Laisse-t-elle échapper dans un murmure d'horreur.
Liam ne réagit pas, et elle l'appelle plusieurs fois. Puis, par miracle, il ouvre les yeux.
« La lumière m'aveugle. Tiens... Il fait jour ? Où suis-je ? J'ai froid. Et je... J'ai mal ! Je ne peux plus respirer ! Qu'est-ce qui m'arrive ? J'étouffe. Chaque fois que je veux remplir mes poumons d'air, une douleur atroce m'en empêche... Je ne comprends pas... Et cette odeur... Cette odeur de rouille qui me prend la gorge ! Je vais vomir... Je... J'ai besoin de respirer ! LAISSEZ-MOI RESPIRER ! »
- Soulevez-le doucement... Voilà, comme ça. Un, deux...
« Je flotte. Je flotte mais j'étouffe toujours. Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Est-ce que c'est moi ? C'est moi qui... Qu'est-ce que je fais ? Je crie ? Je... Je pleure ? Je m'étrangle. Je... De l'air... »
- Ne t'en fais pas Liam, ça va aller.
« Une chaleur sur ma main. Une voix à mon oreille. Mais je n'arrive pas à ouvrir les yeux pour regarder qui c'est... je ne reconnais pas la voix. Elle est transformée. Au fond, je sais qui je voudrais que ce soit. Ou plutôt que ce ne soit surtout pas... Pour ne pas qu'elle m'entende crier. Car je crie. Je me tords de douleur. »
- Voilà, posez-le sur ce lit... Attention ! Allez-me chercher quelque chose pour nettoyer tout ce sang.
« Mes yeux sont ouverts. Je le sens, ils sont ouverts. mais je ne vois rien. Que du flou. Des tâches de couleur étranges et abstraites. »
- Il est tout pâle... - Est-ce que ça ira ?
- Passez-moi l'alcool...
« De nouvelles brûlures sur ma peau. Elles me lancent de partout. Mais quand j'essaie de crier, je me rends compte que quelque chose est dans ma bouche. Un tissu. Je le mords. Je le mords comme jamais. »
- J'ai bientôt fini de recoudre, tenez-le encore un peu !
Quelques heures plus tard, Liam se réveille. Ses yeux s'ouvrent fébrilement pour découvrir qu'il est allongé dans l'une des petites chambres du Golden Dragon. Candice tient un tissu imbibé d'eau tiède et de sang mêlés à la main. Elle regarde Liam avec un air terrifié et rassurant à la fois. Liam entre-ouvre les lèvres pour parler...
- Non, ne dis rien ! Je crois que tu as une côte brisée... Ça va te faire un mal de chien pendant un moment.
Liam baisse lentement les yeux sur son propre corps : on lui a retiré sa chemise, et son torse est, à peu près au milieu, complètement enroulé dans une large bande de tissu trop serré. Près de l'aine gauche, il aperçoit un hématome de la largeur de sa main. Il grimace. - Et encore, tu n'as pas vu ta belle gueule, lui fait Candice dans un petit sourire, alors qu'on voit qu'elle compatis à sa souffrance.
***
Trois jours plus tard. Liam quitte enfin l'auberge. Il peut à nouveau marcher convenablement, même si, comme le lui avait dit Candice, sa côte lui fait un "mal de chien". Sa lèvre commence à dégonfler. Quant à son oeil, le bleu est devenu violacé. Son arcade, recousue par la main de Candice, a l'air d'être de l'histoire ancienne, mais elle est bien la seule.
Trois jours qu'il n'est pas rentré chez lui. Bien sûr, Candice avait prévenu Joan pour ne pas qu'elle s'inquiète. Celle-ci était passée voir Liam à l'auberge, mais seulement ne fois ou deux. Il dormait la plupart du temps, de toute manière.
Liam pousse finalement la porte de chez lui, et entre en lenteur dans la petite pièce principale. Il a horreur de son état ; non seulement douloureux, mais en plus sincèrement handicapant. Il se sent inutile et faible, et il a horreur de ça, il faut bien l'avouer. Joan, dès qu'elle le voit arriver, se précipite presque pour l'aider à aller jusqu'à la chambre. Elle lui donne presque le bras comme à une personne âgée. Liam grogne un instant, puis se laisse faire, n'ayant pas la force de la repousser. Elle l'aide à s'asseoir doucement sur le lit, puis reste une seconde debout face à lui, avant de se baisser à sa hauteur en passant tendrement ses mains sur ses genoux. Liam fronce les sourcils en voyant son geste. - Je suis tellement heureuse que tu ailles mieux ! Fit Joan d'une voix sincère.
Liam monta son regard pour le planter dans le sien. Il y en avait au moins une dans cette pièce qui avait le sourire...
- Ne me fais plus jamais de frayeur comme ça, je... j'ai cru que...
Ah, elle allait pleurer. Liam ne disait rien, se contentait de la regarder. Quelque chose d'étrange se passait dans son esprit. La réaction émue de Joan l'agaçait. Il aurait pu trouver cela attendrissant, mais non. Il aurait pu être touché qu'elle se fasse tant de souci pour lui, mais non. Et plus elle avait l'air de penser ce qu'elle disait, en expliquant qu'elle avait été terrorisée à l'idée de le perdre, qu'il puisse mourir et qu'ils ne se revoient plus... qu'elle avait souffert avec lui pendant toutes ces heures... Non, tout cela énervait Liam. Il ne disait rien, ne réagissait toujours pas. mais au fond de lui, il pensait sincèrement qu'elle ne devrait pas dire toutes ces choses. Que ce n'était pas juste.
Joan voulut passer sa main sur la joue de Liam, mais il esquiva sèchement son geste en tournant la tête. Joan, la bouche entre-ouverte de surprise, recula légèrement. Liam la regarda bien en face, et parla très calmement.
- Joan, ce n'est pas pour toi que je me suis battu. Ce n'est pas pour toi que je souffre, tu te souviens ? Il marqua une courte pause, mais ce fut plus pour peser chacun de ses mots. Ce n'est pas à toi que j'ai pensé. Ce n'est pas toi que j'aime.
La gifle partit d'un coup. Elle fut regrettée aussitôt : Joan eut immédiatement les larmes aux yeux, et se confondit en excuses. Mais il avait été tellement ingrat, tellement froid, tellement... Lucide. Que fabriquait-elle ? Bien sûr, qu'il n'avait pensé qu'à Emy. Il ne pensait toujours qu'à elle.
- Tu n'es plus comme avant, Liam... sanglota-t-elle. Tu... Tu meurs à petit feu. Chaque jour ça empire... - Et comment veux-tu que ça aille ? Toujours ce ton calme, brisé. HEIN, COMMENT ? Il hurla cette fois, sa voix résonnant dans la pièce, et fut pris d'une quinte de toux assez violente ensuite à cause de sa blessure. Après quelques secondes d'une gêne intense, Joan reprit timidement. - Je... Je peux... Peut-être que si on... - Ne me touche pas, Joan. Je veux dormir. Seul.
La porte claqua derrière la rouquine, sortie pleurer ailleurs. Elle ne le reconnaissait plus. Elle comprenait qu'il soit anéanti de ne pas la revoir... Mais de là à repousser n'importe qui d'autre ? Où n'était-ce qu'elle ? Était-ce parce qu'elle était...
« La pire erreur de ma vie. »
Liam s'écroula sur le lit, et le plafond fut son compagnon de solitude pendant les heures qui suivirent.