"Mary, ma chère, si vous voulez sortir, achetez vous donc des rubans !"

C'est précisément cette phrase de sa tante, qui avait poussé Lady Springbury hors de chez elle. Non pas qu'elle ait pris le ton de Mrs. Fieldway au sérieux, mais elle convenait fort bien qu'il était bon pour toute jeune femme d'aller faire des emplettes et de se montrer coquette, au moins pour soutenir son rang. Mary Springbury sortit donc de chez elle, la tête dans les nuages et le cœur au septième ciel. C'était un beau jour de printemps, le ciel était d'un bleu parfait et le soleil rayonnait plus fort que jamais. Elle ouvrit délicatement son ombrelle et se mit en route vers l'écurie où on lui prépara une voiture rapidement. Elle pria le domestique de l'emmener en ville et de l'y attendre jusqu'à ce qu'elle ait fini ses courses, et elle fut obéie.

Une fois arrivée, quelques temps plus tard, elle poussa la porte de Wickwood et la clochette attachée à la porte d'entrée tinta gracieusement. Elle sourit aimablement tandis que l'on se pressait autour d'elle : avait elle besoin de quelque chose en particulier ? Elle préférait regarder avant. Pouvait-on la conseiller ? Pas tant qu'elle ne se soit fait un avis au préalable. On finit par la laisser vaquer à ses occupations, et la jeune Lady se dirigea vers l'étalage des rubans, en appréciant la qualité et la matière tour à tour.

Elle réfléchissait tranquillement au ruban parfait pour aller avec la robe blanche dont son père lui avait fait cadeau, quand Mary, trop occupée à son affaire heurta quelqu'un. Elle rougit et se retourna, s'excusant avec empressement. Elle se trouvait devant une jeune fille brune, qui lui était connue car Meryton était une petite ville mais dont elle ne savait rien, même pas son nom. Elle s'inclina avec déférence et sa bouche laissait échapper les plus gracieuses excuses dont elle était capable :

"Oh, Mademoiselle, croyez bien que je suis navrée ! Je vous prie de m'excuser, je ne regardais pas où j'allais, j'espère ne pas avoir endommagée votre robe..."

Elle se tut et regarda autour d'elle, déplorant l'absence de tierce autour d'elles et elle ne put s'empêcher de le relever, contrite :

"Vraiment je regrette qu'il n'y ait personne pour nous présentez, Mademoiselle, car j'aurais été forte aise de pouvoir m'excuser correctement..."

• Le soulagement de Mary fut grand lorsqu'elle reconnut Mr Smith, un gentleman de sa connaissance, qui au bal de Meryton, en bon maître de cérémonie, présentait les gens entre eux. Le brave homme outrepassait souvent sa tâche et ne se contentait plus que des bals, étendant ses talents à l'ensemble des bâtiments publics de la ville. Aussi fit il le devoir qu'il s'était attribué et présenta Lady Springbury à la jeune femme qui lui faisait face.
  
  MR SMITH - Lady Springbury, permettez moi de vous présenter Miss Bethany Shaw pensionnaire à Kingsley School.
  
  Mary le remercia chaleureusement tandis qu'il s'éclipsait avec moult cérémonies. Les présentations ayant été faites, la bienséance respectée, l'assistance se désintéressa de la rencontre des deux jeunes demoiselles, puisqu'il n'y aurait sans doute à l'avenir plus rien de divertissant à colporter.
  La jeune femme se tourna alors vers Miss Shaw et coula sur elle un regard amical. Elle avait une grande affection pour les pensionnaires de Kingsley, rien que par la réputation de l'établissement. De plus, qu'elle fasse partie de cette maison signifiait qu'elle n'était pas idiote et qu'elle devait être fort bien élevée. Rien ne pouvait mieux la prévenir. Aussi s'excusa-t-elle encore dans les convenances, bien qu'étant de rang supérieur elle n'en eut pas besoin :
  
  MARY - Veuillez me pardonner, Miss Shaw, je ne faisais guère attention, et vous en avez fait les frais, ce que je regrette, assurément.
  
  Elle remarqua le ruban dans la main de la jeune fille et son sourire creusa une fossette plus profonde encore dans sa joue droite, tandis qu'elle regardait Miss Bethany, qu'elle trouva fort jolie, cela dit en passant, et fort élégante. Sans trop savoir si cela était vraiment déplacé, mais désireuse de mettre la jeune femme à l'aise, elle continua sur le ton de la conversation la plus amicale qui lui était permis :
  
  MARY - D'autant plus que je vous ai poussée alors que vous vous affairiez auprès d'un fort joli ruban. La couleur ira à ravir avec vos yeux, Mademoiselle, si vous me le permettez... Mon jugement n'est pas aussi sûr que je le voudrais, mais il me semble qu'il vous conviendrait fort bien. Cela dit, je ne souhaite pas vous influencer dans votre choix... Je serais ravie de pouvoir aborder un tout autre sujet avec vous, Miss Shaw.
  
  Elle lui tendit la main, montrant ainsi qu'elle désirait beaucoup faire plus ample connaissance avec Miss Bethany.

C'était ce même homme qui l'avait déjà présenté à de nombreuses personnes aux quelques bals dont elle avait pu acquérir l'autorisation d'assister. Elle s'apaisa en songeant qu'elles pourraient à présent converser à leur aise. Mary le remercia aimablement et Bethany fit de même. Le gentilhomme partit, la Lady reprit milles excuses, ce qui la gêna d'autant plus. Il lui paraissait improbable qu'une femme de son rang puisse tant se soucier d'avoir causé quelque dommage à une simple Miss. Son regard, de plus, n'était que gentillesse. Toute la bonne société n'était pas qu'hypocrisie et méchanceté. Quoi que le principe même de l'hypocrisie n'était-il pas justement cette capacité particulière à masquer une duplicité parfaitement jouée ? Non cela l'aurait fort étonné. Du moins pas dans ce cas: la Lady avait l'air réellement navrée. Étant rassurée, Bethany se détendit, et lui rendit un sourire aimable.

Mary : Veuillez me pardonner, Miss Shaw, je ne faisais guère attention, et vous en avez fait les frais, ce que je regrette, assurément.

Bethany : Je vous en prie, ne vous excusez pas. Votre rang vous épargne cette peine, mais surtout, le mal est partagé ! Si vous vous reprochez de m'avoir heurtée, je devrais en faire de même. Je ne faisais guère plus attention que vous après tout. J'aurais simplement eu l'impolitesse de m'offusquer là où vous vous serez aussitôt excusé. Les torts sont donc tous miens.

La demoiselle lui sourit de nouveau. Elle s'en voulait réellement de s'être tant offensé pour une simple maladresse. Elle pensait ce qu'elle disait, et désirait mettre un terme à ce chapitre malencontreux. Pensant d'ailleurs que cette Lady n'irait plus loin dans leur discussion, elle retourna à ses occupations et retrouva par chance le ruban qui lui avait échappé. Il lui plaisait tant qu'elle aurait été déçu de le perdre si bêtement. La femme à côté d'elle semblait pourtant vouloir faire, contre toute attente, plus ample connaissance. Elle nota du coin de l'œil qu'elle lui souriait. Se retournant vers elle pour ne pas paraître impolie, celle-ci en profita pour reprendre la conversation.

Mary : D'autant plus que je vous ai poussée alors que vous vous affairiez auprès d'un fort joli ruban. La couleur ira à ravir avec vos yeux, Mademoiselle, si vous me le permettez... Mon jugement n'est pas aussi sûr que je le voudrais, mais il me semble qu'il vous conviendrait fort bien. Cela dit, je ne souhaite pas vous influencer dans votre choix... Je serais ravie de pouvoir aborder un tout autre sujet avec vous, Miss Shaw.

Puis elle conclut sa phrase en lui tendant la main. La surprise se lisait aisément sur son visage alors que Bethany lui tendit à son tour la sienne. Cette amabilité à son égard l'étonnait tant elle n'avait pas été encouragée. Elle n'en fut pas moins bien accueillie pour autant. Cette Lady alliait la grâce à la courtoisie, et cela lui plaisait beaucoup.

Bethany : Détrompez vous. Votre avis m'importe réellement tant je suis admirative devant votre toilette. Mais comment ne pas l'être alors que votre choix de couleur et de forme s'accorde tant à votre teint , qu'aux nuances de vos yeux et à la forme de votre visage, si vous me permettez cette remarque à mon tour. Je serais en revanche toute aussi encline à aborder un autre sujet de votre choix, si discuter de ruban vous paraissez trop superficiel.